À Courbevoie comme dans de nombreuses communes, la Première Guerre mondiale a endeuillé bien des familles. Roquigny, Enghels et Lebeuf : derrière ces noms que l’on peut lire en se promenant dans la ville se cachent des drames familiaux que seules les archives savent faire revivre.

Les frères Roquigny

Raoul Roquigny est né le 7 mars 1880 à Maromme, en Seine-Maritime. C’est le fils aîné de Désiré-Gustave Roquigny et de Delphine Vattier, qui meurt en couche. Comme tous les jeunes hommes de cette époque, il effectue son service militaire à 20 ans. Cinq ans plus tard, il se marie à Françoise Le Rouzic. Leur premier fils ne survit pas mais une fille naît en 1907. Quand la guerre éclate,  début août 1914, Odette est alors âgée de 7 ans et un bébé vient de naître le 1er juin, Pierre. 
Avec la mobilisation générale, le soldat Roquigny (matricule 982) rejoint le 28e régiment d’infanterie comme sergent. Début septembre 1914, il combat dans la Marne puis dans l’Aisne où il est porté disparu le 13 septembre, à Loivre. Cette dernière bataille marque la défaite de l’offensive franco-britannique pour repousser les Allemands et le début de la guerre des tranchées. Son livret militaire ici
Quelques jours après la mort de Raoul sur le front, son jeune fils décède, le 18 septembre, puis sa femme quelques semaines plus tard, le 10 octobre. 

Norbert Roquigny, lui, est né le 9 octobre 1885 à Paris. C’est le fils cadet de Désiré-Gustave qui a épousé Alexandrine Durand en secondes noces. Après son service militaire, Norbert s’est marié avec Joséphine Auvray, avec qui il a un fils Roger né le 28 juillet 1914.
Sept jours après la naissance de son enfant, mobilisé à son tour sous le matricule 3544, Norbert Roquigny rejoint le 76° régiment d’infanterie. Nommé sergent du 276e régiment d’infanterie en 1915, sa bravoure est citée lors de la bataille de Vauquois : « Le 13 février 1915, il a rallié les Isolés et les a maintenus en ligne pendant plusieurs heures sous le feu le plus violent » est-il écrit dans son livret militaire, ce qui lui vaudra une médaille posthume.
Quelques mois plus tard, lors de la grande offensive de l’armée française en Artois, il meurt le 28 septembre 1915, à la cote 119 à l’est de Souchez, un épisode terrible de cette guerre. Son livret militaire ici

André Roquigny est le benjamin de la fratrie. Né le 13 juin 1892 à Clichy, il habite encore chez ses parents quand débute la guerre. Il termine à peine son service militaire en 1913 qu’il rejoint le 162e régiment d’infanterie comme soldat (matricule 3976) … et musicien ! Il part dès l’été 1914 sur le front où il est déclaré « tué à l’ennemi » le 6 septembre 1914 lors de la bataille de la Marne. Son livret militaire ici

A Courbevoie, au 73 avenue Gambetta, où réside la famille, c’est l’hécatombe pour leurs parents, Désiré-Gustave et Alexandrine, et leur jeune sœur Madeleine, alors âgée de 16 ans. En décembre 1914, la famille semble avoir été prévenue de la disparition du plus jeune fils, André. En février 1915, ils apprennent la mort de l’aîné Raoul, cinq mois après son décès sur le champ de bataille. Puis, en septembre 1915, c’est le décès du fils cadet Norbert qui leur est annoncé.

La place des Trois-Frères-Roquigny se situe boulevard Saint-Denis, à l’entrée du vieux cimetière. C’est en 1929 que la ville a décidé de baptiser les lieux en hommage à cette famille.

Les frères Enghels

Eugène Enghels est né le 22 décembre 1888 à Puteaux. Il est le fils de Eugène Enghels et de Marie Parent. Peu avant la guerre, il se marie et a deux enfants. Début août 1914, à l’heure de la mobilisation générale, il rejoint le 291e régiment d’infanterie comme caporal, sous le matricule 2582. 
Envoyé sur le front des Ardennes, il meurt le 26 septembre 1914, à Saint-Léonard, lors de la bataille de la Marne.

 

Maurice Enghels, le fils cadet, est né le 19 avril 1890 à Courbevoie. Juste avant la guerre, il habite encore chez ses parents et travaille avec son père, qui a sa propre entreprise de plomberie. Après son service militaire, il est incorporé au 18e bataillon des chasseurs à pied en tant sergent (matricule 3368). 
On suppose qu’il fut un temps prisonnier de guerre mais il est déclaré « mort pour la France » le 22 juin 1915 à la Tranchée de Calonne, qui fut l’enjeu de combats acharnés (cette bataille est citée par Maurice Genevoix dans ses mémoires de guerre Ceux de 14).

Le dernier fils, Louis Enghels, naît aussi à Courbevoie, le 9 juillet 1892. Comme le plus jeune des fils Roquigny, il a 22 ans quand la guerre éclate et sort à peine de son service militaire. Heureux hasard, il rejoint son frère Maurice au sein du 18e bataillon des chasseurs à pied (matricule 3886). 
Il meurt le premier, le 3 octobre 1914, au combat de la Fille-Morte, dans la forêt d’Argonne, dans la Meuse.

Leurs parents Eugène et Marie résident 33 bis, rue Carle-Hébert avec leurs filles Fernande, 17 ans, et Marie, 13 ans. Coup sur coup, dès le début de la guerre, la famille apprend la mort du fils aîné, Eugène, puis du benjamin, Louis. Huit mois plus tard, ils apprennent aussi la triste nouvelle pour le frère cadet, Maurice. Dans les carnets militaires des trois frères, la cause de la mort est la même, avec ces mots terribles « tué à l’ennemi ». Leur père aura tout juste le temps de voir l’armistice signée, le 11 novembre 1918, avant de décéder à son tour le 8 décembre.

Le square des Trois-Frères-Enghels se situe quartier Gambetta, là où la place du même nom fut inaugurée en 1929.

Les frères Lebeuf

Henry Lebeuf est né le 16 août 1873 à Libourne. Il est le fils de Jacques Lebeuf et de Marie Trigant qui n’ont à cette époque pas encore quitté la Gironde pour la capitale. En 1905, il se marie avec Elisa Crivelli et ils vivent à Paris. A 41 ans, quand la guerre éclate, il est enrôlé comme soldat du 9e régiment d’artillerie (matricule 1482) mais il ne semble pas être parti au front. 
Il meurt le 3 octobre 1916 à Paris de maladie, en présence de son frère Paul, en permission à cette occasion.

 

Paul Lebeuf né le 5 septembre 1874 à Libourne aussi. Aucune trace de mariage pour le fils cadet qui part à la guerre comme sous-lieutenant au 15e régiment d’infanterie territoriale. Après Verdun, la Champagne, la Somme, il prend part comme des milliers d’hommes à l’offensive du Chemin des Dames en 1917. 
Il y survit mais il est tué le 1er novembre 1917 lors d’une bataille à des centaines de kilomètres de là, en Meurthe-et-Moselle. 

René Lebeuf est né bien après ses frères, le 16 octobre 1889, à Paris. Après son service, à 21 ans, il s’engage dans l’armée, au sein du 29e régiment d’infanterie coloniale des Dragons (matricule 738), et part en Cochinchine qui est alors une colonie française (au sud de l’actuel Vietnam). En 1915, il est condamné par le conseil de guerre de la Cochinchine à une peine de deux ans de prison pour « faux en matière d’administration ». 
En 1917, il est envoyé combattre en France comme soldat du 52e régiment d’infanterie coloniale. Lui aussi participe, comme son frère Paul, à la bataille du Chemin des Dames. Il y est blessé. Un an plus tard, il est tué au combat de Grandpré-Fleury-la-Rivière dans la Marne, le 15 juillet 1918. Son livret militaire ici et ici

 

C’est au cours de la guerre que leur père, devenu veuf, vient vivre à Courbevoie, au 11, rue Carnot. Il n’est pas loin de son fils Henry quand celui-ci décède à Paris en 1916. Puis, il sera prévenu de la mort de ses fils Paul et René à quelques mois d’intervalle, fin 1917 et à l’été 1918, tous deux reconnus « morts pour la France ».

La place des Trois-Frères-Lebeuf se situe au Faubourg-de-l’Arche. Il y a moins d'archives sur cette fratrie que sur les deux autres. Et on trouve moins d’informations sur Henry et Paul que sur René. Le plus jeune des trois frères est d'ailleurs le seul à avoir son nom inscrit sur le monument aux morts de la commune, au cimetière des Fauvelles.

Mic-mac dans les monuments commémoratifs !

Au cimetière des Fauvelles de Courbevoie, les trois frères Roquigny sont inscrits sur le monuments aux morts (première photo ci-contre). De même pour les trois frères Enghels. Par contre, pour la famille Lebeuf, seul René est mentionné. Pour Henry, c'est logique car il est officiellement décédé de maladie et non à la guerre; pour Paul, c'est plus étrange car l'acte de décès officiel mentionne bien “tué à l'ennemi”

Au cimetière toujours, non loin du monuments au morts, dans le carré militaire, seuls les frères Roquigny ont une stèle où ils figurent tous trois (deuxième photo ci-contre).

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Enfin, à l'église Saint-Pierre Saint-Paul de Courbevoie (photo ci-dessous), une stèle a aussi été érigée “à la mémoire des soldats de la paroisse de Courbevoie tombés au champ d'honneur pour la France en 1914-18” : parmi tous les noms, on trouve Louis et Eugène Enghels, et pas Maurice; Henry, Paul et René Leboeuf (écrit avec une faute d'orthographe) et pas de Roquigny…

Sources

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